Nous avons eu nos premières questions de la part de deux classes de quatrième que nous remercions chaleureusement.
Comment se passe la vie sur le bateau ?
La vie sur un bateau est rythmée par deux choses : Les quarts de surveillance et les temps de repas.
Le petit-déjeuner a lieu entre 6h30 et 8h30 tous les matins ; Le déjeuner entre 11h et 13h ; et le dîner entre 19h et 21h.
En dehors de ces horaires, l’équipage doit assurer des quarts. C’est-à-dire que toutes les quatre heures, les personnels à bord se relaient aux différents postes :
La surveillance des appareils scientifiques pour le personnel scientifique
La passerelle et la salle des machines pour l’équipage
La surveillance des équipements de mesure pour le personnel technique.
Ensuite, il faut savoir que l’ensemble de l’équipage s’entend très bien et que l’ambiance à bord est très bonne. Nous sommes tous focalisés sur la réussite de cette campagne.
Par exemple si, pour de nouvelles données, nous devons faire changer de cap le navire, l’équipage est toujours prêt à écouter l’avis des scientifiques et à modifier la trajectoire de façon à avoir les meilleures acquisitions possibles.
De même, l’équipe scientifique étant pluridisciplinaire, elle bénéficie d’experts dans chaque domaine de recherche de la mission. Aussi, nous pouvons nous entraider les uns les autres.
Vous travaillez tout le temps ?
La journée, les différents membres d’équipages travaillent sur leurs taches quotidiennes. Par exemple du traitement de données, la gestion des quarts, la préparation des repas, l’entretien du navire, etc...
Cependant, les instruments de mesure sont allumés en permanence. Même la nuit.
Aussi, il faut impérativement que des gens soient mobilisés pour surveiller leurs fonctionnements. Ce sont les quarts. Il y a un peu plus d’une dizaine de personnes qui travaillent en permanence sur le navire durant les quarts.
Donc oui, le navire travaille tout le temps, mais ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui travaillent.
Néanmoins, pour se reposer, l’équipage bénéficie à bord d’une salle de repos avec des livres, d’une télévision ainsi que d’une salle de sport.
Quelle est la découverte la plus marquante que vous ayez faite concernant l’activité tectonique de la région et surtout l’activité du volcan qui fait bouger Mayotte ?
Isabelle THINON : « Je crois que c’est la découverte du volcan en lui-même. Nous savions qu’il se passait quelque chose de cet ordre mais pouvoir le voir directement fut quelque chose d’extraordinaire. D’autant qu’il était impressionnant et encore actif lorsque nous sommes passés.
Il faut bien comprendre que sa découverte nous permettait de pouvoir expliquer aux mahorais ce qu’il se passait. De mettre un mot et des images sur la raison pour laquelle la terre tremblait depuis des mois.
Et puis du point de vue du géologue, voir la naissance d’un nouveau volcan est inoubliable ! »
Sylvie LEROY : « La découverte la plus marquante reste la découverte du volcan. Il était tard et nous ne savions pas ce sur quoi nous allions passer. Une fois les images acquises, nous les avons traitées immédiatement, tant notre enthousiasme était grand.
Mais d’une manière générale, la phase de découverte et d’exploration d’une campagne maritime est toujours enthousiasmante. Très souvent, nous sommes les premiers à découvrir des structures sous-marines. Nous avons un peu l’impression d’être des explorateurs. »
Nathalie FEUILLET : « Au départ, nous soupçonnions une activité volcanique pour expliquer les séismes des derniers mois. Seulement nous ne savions pas où elle se situait précisément.
Lors de la campagne Mayobs1 (Nous en sommes à Mayobs17 aujourd’hui), nous cherchions des évidences d’activités volcaniques dans les fonds marins avec des outils simples : La bathymétrie, le SDS, etc. Nous n’avions, par exemple, pas d’appareil de sismique à bord.
Nous faisions de grands trajets en cherchant des indices dans la colonne d’eau ou dans la bathymétrie. Il faut bien comprendre que la couche sédimentaire dans le bassin des Comores est très importante. Non seulement elle est épaisse mais aussi très compacte du fait du poids important. Normalement, le magma va avoir du mal à s’en extraire et apparaître à la surface. Nous pensions donc que tout indice serait très petit : Un bombement des sédiments, un petit panache de fluides dans la colonne d’eau.
Et finalement, en pleine nuit, nous avons aperçu tout d’abord des panaches sous-marins (Ce sont des fluides qui vont s’échapper du volcan et remonter en direction de la surface) hauts de 2000m ! Puis le volcan : 800m de haut pour 5km de diamètre. Clairement nous ne nous attendions pas à cela ! »
Anne LEMOINE : « De nombreuses choses ont été marquantes. En fait nous avons été de découvertes en découvertes tout au long de ces deux dernières années.
Tout d’abord il y a eu l’intensité de la crise sismique qui était impressionnante de par son amplitude. Plusieurs dizaines de séismes par jour dont beaucoup étaient ressentis par la population.
Ensuite, les stations GPS qui ont mesuré le déplacement vers l’est (18cm) et l’enfoncement rapide de l’île (environ 15cm).
En novembre 2018, c’est un signal de très basse fréquence qui a été identifié et qui émanait de cette zone. Ce qui était exceptionnel ici, c’est que ce type de signal n’avait été détecté jusqu’à présent que deux autres fois, en 2011 et en 2013 en Polynésie. Il est le signe de vibrations dans un grand réservoir magmatique.
Et enfin, la découverte du volcan en lui-même.
Aujourd’hui encore, nous faisons des découvertes marquantes au fil de nos explorations. Et chaque campagne apporte quelque chose de nouveau. »
Julien BERNARD : « J’ai participé à la création de la carte géologique de Mayotte en 2013. Je sais donc que de nombreuses roches sont très anciennes, mais que le volcanisme s’est éteint dans la zone il y a peu de temps. Moins de 10000 ans pour les dernières éruptions de Petite Terre.
Nous nous doutions donc qu’il pourrait y avoir de nouveau une activité volcanique un jour, mais pas que nous en serions témoins de notre vivant.
On savait que la naissance d’un nouveau volcan était possible, mais le voir en direct c’est autre chose. »
D’où vient le séisme ?
Au départ, il faut comprendre qu’il n’y pas eu qu’un seul séisme. Depuis le début de la crise à Mayotte en mai 2018, on estime à environ 1800 le nombre de séismes dont la magnitude est supérieur à 3,5. Au plus fort de la crise, il y en avait des dizaines par jour.
Alors pourquoi ces séismes ? Et bien Mayotte se situe, d’après les dernières observations, juste au dessus d’une chambre magmatique. C’est-à-dire une zone souterraine située à plusieurs kilomètres sous terre et qui contient de la roche en fusion, du magma.
Si ce magma refroidit dans la chambre, il n’y aura pas de mouvements particuliers. Par contre, il peut arriver que celui-ci remonte en suivant des failles dans la roche et finisse par ressortir à la surface.
En agissant ainsi, il va forcer sur les roches qui l’entourent. Cela va provoquer des déformations et des cassures sur de grandes distances.
Les ondes provoquées par ces cassures et déformations, vont entraîner les séismes.
Si vous le pouvez, allez jeter un caillou dans l’eau. Vous remarquerez qu’une onde se forme autour du point de chute.
Ici, la chute du caillou dans l’eau représente l’endroit où la roche se brise, et les ondes autour représentent les ondes qui, en se déplaçant, vont provoquer les séismes.
Aujourd’hui, les scientifiques se demandent d’où vient cette poche de magma et si nous pouvons la relier à d’autres événements à plus grande échelle. C’est-à-dire tout autour de l’archipel des Comores, mais également à toute la partie Est de l’Afrique.